Brained #24 - Viens manger avec moi, ça nous fera des souvenirs en commun.

Viens manger avec moi, ça nous fera des souvenirs en commun.

Brained
5 min ⋅ 28/09/2025

L’edito

Trois fois par jour, 365 jours par an, toute sa vie. Ça fait un sacré paquet de repas. Seul ou accompagné. Chez soi ou au restaurant. Parfois ni l’un ni l’autre. On pourrait en conclure qu’un repas est quelque chose de banal. Tellement répété : entrée, plat, dessert. Plus grand-chose d’exceptionnel. Mais non, on est français, on parle de repas pendant les repas et entre les repas. On est devenus maîtres en art de la table. On a érigé la cuisine tout en haut de notre culture. Nos vies sont rythmées par les repas. Nos connexions humaines passent par les repas. On y invente des choses, on s’y réconcilie, on y renforce des amitiés, on y crée des souvenirs.

Les repas sont les souvenirs les plus nets de mon enfance et de ma vie d’adulte. Ils gravent dans ma mémoire ces instants, ces personnes, ces plats partagés. J’ai plus de facilité à me rappeler ces moments autour de la table que tous les autres. Est-ce une sorte de mémoire gustato-olfactive ? Est-ce mon côté gourmand ? Des madeleines de Proust par dizaines : les pâtes à la harissa, les couscous, les pommes de terre boulangères, les escalopes de veau à la crème, les pâtes au poulet balsamique, les araignées de mer à la mayonnaise maison, les beignets de pommes, les galettes… La liste est longue et riche de souvenirs incroyables. Je devais aborder ce sujet tôt ou tard!

Si vous voulez me faire plaisir, faites-moi manger. Et il y a de grandes chances que je m’en souvienne bien !

Raphaël


Au menu

  • L’article : Partager une table.

  • La question : On déjeune avec qui ?

  • Et c’est pas moi qui le dit, c’est Anthelme Brillat-Savarin.

  • La ressource : L’Omnivore, Claude Fischler

  • Il en pense quoi Robin Panfili ?

  • One more thing : les tranchoirs.


L’article

Feu de camp hier, Uber Eats aujourd’hui. Dans les deux cas, il y a un plat. Mais dans un seul, il y a une communauté.

Partager un repas, c’est se synchroniser. On attrape, on passe, on dit “ encore un peu ? ”. Ces gestes simples mettent les corps au diapason. La psychologie sociale le confirme : manger côte à côte, au même rythme, avec les mêmes saveurs, augmente la confiance. Notre cerveau adore les régularités. Il lit la similitude comme un signe de coopération.

Et il y a le plaisir. La cuisine mobilise tous les sens : le bruit de l’huile qui crépite, l’odeur qui précède les mots, la chaleur d’une assiette et les couleurs qui attirent l’œil. Dans un monde saturé d’écrans, cette matérialité agit comme un ancrage partagé.

Enfin, la nourriture parle. Elle dit : “ tu es le bienvenu ”, “ voilà comment ça se passe ici ”. La table est une grammaire, avec ses rituels, ses silences, ses règles implicites. Dans la famille, les repas rituels – dimanches, fêtes, réveillons – rappellent l’appartenance. Entre amis ou voisins, la table reste l’espace le plus simple et le plus puissant pour créer du lien. Elle fabrique des souvenirs communs, parfois plus solides que des heures de conversation.

Le gastronome Anthelme Brillat-Savarin écrivait dans Physiologie du goût :
“Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit.”

Une phrase simple, mais qui résume tout : partager un repas, c’est prendre soin.

Quand la table s’effrite

Et pourtant, cette évidence se fissure. Nous avons inventé mille manières de manger sans vraiment partager. Les dark kitchens nourrissent des quartiers entiers sans que personne ne se rencontre. Les repas sautés se réduisent à des snacks avalés debout. Le droit à une vraie pause devient un privilège : ceux qui peuvent s’attarder à table n’ont pas la même vie que ceux qui mangent à toute vitesse.

En ligne, on multiplie les ersatz. Les mukbangs coréens, où l’on regarde quelqu’un manger, offrent une présence distante. Les apéros Zoom ont dépanné, puis lassé. Les groupes WhatsApp de recettes et les chaînes Slack de bonnes adresses entretiennent le lien, mais rien ne remplace la chaleur d’un plat partagé.

Et puis il y a le téléphone. Ce convive invisible, posé à côté de l’assiette, qui interrompt la conversation au moindre bip. Quand avez-vous, pour la dernière fois, partagé un repas sans lui laisser de place ?

Les résistances et les réinventions

Face à ces glissements, des contre-mouvements émergent. Les AMAP, les repas de quartier, les cantines solidaires réinstallent la convivialité dans des espaces parfois oubliés. Ces initiatives rappellent que la cuisine n’est pas seulement privée : elle peut redevenir un service public officieux, un lieu où l’on parle d’emploi, de loyers, de paperasse ou de projets communs.

L’écologie ajoute une autre dimension. Réduire la viande, privilégier le local, respecter les saisons : ce ne sont pas que des choix techniques. Ce sont de nouvelles règles à négocier collectivement. On débat des symboles de notre gastronomie et on expérimente des alternatives. La transition alimentaire est peut-être aussi une transition relationnelle.

Ces réinventions montrent que la table reste un espace souple. Elle peut accueillir la mémoire et le changement, les traditions et les innovations. Elle s’adapte, mais elle ne disparaît pas.

Et si on s’invitait plus

On ne partage jamais trop de repas. La table est ce lieu de partage, de sensations et de souvenirs. Elle s’effrite, se transforme, s’adapte.

Mais on peut aller plus loin. Osons inviter ceux qu’on ne voit pas d’habitude : le collègue avec qui on ne parle jamais, le voisin qu’on croise sans connaître, l’ami qu’on a laissé filer. Offrons-nous la chance d’élargir le cercle, de fabriquer du commun, de rappeler que nous ne sommes pas faits pour manger seuls.

Posons les téléphones. Et laissons les choses se faire, simplement, à hauteur d’assiette.

La question

La semaine dernière, nous vous demandions ce qui vous freine le plus au moment de partager une idée ou un projet. Vous avez été 47 % à répondre : la peur d’être jugé. Derrière, on retrouve le besoin de vérifier si c’est vraiment utile… et la crainte que ce soit trop personnel.

Cette semaine, on reste dans l’esprit du partage, mais à une autre échelle.

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👉 Avec qui aimeriez-vous vous asseoir plus souvent autour d’une table ?


La ressource

Pourquoi mange-t-on ce que l’on mange ? Comment un simple repas révèle-t-il nos identités, nos appartenances, nos tensions ? Dans L’Omnivore, Claude Fischler explore les choix alimentaires comme un miroir de nos sociétés. Entre commensalité, tabous et industrialisation, il montre comment la nourriture structure bien plus que nos assiettes : elle façonne nos cultures et nos relations. Un classique pour comprendre la table comme un fait social total.

Bonne lecture !


Il en pense quoi ?

Cette semaine on a demandé à Robin Panfili - journaliste culinaire et auteur de la newsletter Entrée, Plat, Dessert - ce que signifiait pour lui “ partager une table ” et sa réponse n’est pas celle qu’on attendait : il parle du luxe d’un repas en solitaire.

La beauté d’un repas au restaurant, c’est aussi parfois de le passer en solitaire. On a longtemps vu ça comme une solitude forcée, triste, qui inspire la pitié. Et pourtant, c’est peut-être l’une des meilleures façons de vivre un moment à table, parfois. Un moment rare et précieux pour se retrouver soi-même, se déconnecter du vacarme et du tourbillon de nos quotidiens… Et pour, au bout du compte, mieux retrouver ceux que l’on aime. Une petite parenthèse introspective qui fait du bien et qui offre la chance et le luxe (à peu de frais) de s’offrir un peu de recul et de perspective dans un monde qui nous ronge et nous sollicite sans répit.

Merci à Robin pour sa participation ! On vous recommande chaudement sa newsletter d’histoires et d’aventures avec de la nourriture à l’intérieur. C’est à retrouver par ici 👉🏻 Entrée, Plat, Dessert : Petites histoires et grandes aventures avec de la nourriture à l'intérieur, par Robin Panfili.


One more thing

Au Moyen Âge, on ne mangeait pas dans des assiettes mais sur des tranchoirs : de larges morceaux de pain rassis utilisés comme support. Ils absorbaient sauces et jus, puis, une fois ramollis, étaient redistribués aux pauvres ou aux animaux.

Ce geste rappelait que le repas n’était pas seulement un moment de convivialité, mais aussi un mécanisme de partage et de redistribution sociale.

Au fond, même les restes étaient une manière de partager.


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La rédaction de Brained

Brained - Des idées pour les cerveaux assoiffés affamés !

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Par Raphaël H